Une arnaque en ligne ne se règle pas avec un simple « tant pis, je ferai plus attention la prochaine fois ». Chaque fraude non signalée est un feu vert donné aux escrocs pour recommencer, parfois à plus grande échelle. La bonne nouvelle : en France, vous disposez d’outils concrets pour déclarer les fraudes internet, à la fois auprès de la police et des plateformes.
Encore faut-il savoir où, comment, et avec quelles preuves. C’est l’objectif de cet article : vous donner une méthode claire, applicable immédiatement, pour ne plus subir en silence.
Identifier clairement le type de fraude que vous subissez
Avant de déclarer, il faut qualifier ce que vous avez subi. Cela paraît théorique, mais c’est ce qui permet aux forces de l’ordre comme aux plateformes de comprendre rapidement le problème.
Quelques formes fréquentes de fraudes en ligne :
- Phishing (hameçonnage) : faux mails, SMS, messages se faisant passer pour votre banque, impôts, CPF, La Poste, etc. Objectif : vous voler des identifiants ou vous pousser à payer.
- Faux sites marchands : boutiques en ligne attractives (prix cassés, promotions « limitées ») qui encaissent l’argent mais ne livrent jamais.
- Arnaques aux investissements : trading, crypto, « plateformes » de placement, conseillers financiers auto-proclamés promettant des rendements irréalistes.
- Usurpation d’identité : création de faux profils à votre nom, utilisation de vos papiers ou coordonnées pour des crédits, abonnements, achats.
- Faux support technique : faux messages Microsoft, Apple, Free, Orange, etc. qui prétendent que votre ordinateur est infecté et vous font installer un logiciel de prise en main à distance.
- Chantage, sextorsion : menace de divulguer des photos/vidéos intimes ou des données personnelles en échange d’argent.
- Escroqueries sur plateformes : Vinted, Leboncoin, Marketplace Facebook, Airbnb, etc. Avec faux paiements, faux justificatifs, demandes « urgentes ».
Vous n’avez pas besoin de connaître la qualification pénale exacte. Mais être capable de décrire les faits simplement (qui, quoi, où, quand, comment, avec quelles pertes) va grandement faciliter la suite.
Pourquoi il est indispensable de signaler une fraude internet
Beaucoup de victimes renoncent : « C’est trop compliqué », « Pour 200 €, la police ne fera rien », « Je suis tombé dans le piège, tant pis pour moi ». Ce raisonnement arrange surtout les escrocs.
Déclarer une fraude a plusieurs objectifs :
- Limiter les dégâts pour vous : blocage de cartes, de comptes, désactivation de comptes compromis, suppression de contenus, etc.
- Empêcher les récidives : plus un site, un mail, un profil ou un numéro est signalé, plus il est probable qu’il soit bloqué ou surveillé.
- Donner des éléments aux enquêteurs : même si votre propre dossier ne mène pas à une arrestation, vos informations peuvent recouper d’autres plaintes.
- Constituer une preuve de votre bonne foi : utile face à votre banque, vos assureurs ou d’autres institutions.
Non, vous n’êtes pas « trop naïf » pour porter plainte. L’escroquerie est un délit, parfois un crime. C’est la responsabilité des fraudeurs, pas de la victime.
Première étape : sécuriser et rassembler les preuves
Avant même de courir au commissariat ou de remplir un formulaire en ligne, verrouillez votre environnement et constituez un dossier le plus complet possible.
1. Sécuriser immédiatement
- Changez les mots de passe compromis (messagerie, comptes bancaires, réseaux sociaux).
- Activez l’authentification à deux facteurs là où c’est possible.
- Appelez votre banque si une carte ou un compte est potentiellement touché (opérations suspectes, coordonnées bancaires communiquées, etc.).
- Désinstallez tout logiciel que l’arnaqueur vous a fait installer (prise de main à distance, « antivirus », etc.).
2. Sauvegarder les éléments de preuve
Ne supprimez pas les messages, même s’ils vous semblent compromettants ou gênants. Ils sont souvent essentiels.
- Faites des captures d’écran : conversations complètes (SMS, réseaux sociaux, messageries), pages de site, profils, annonces, interfaces de paiement, etc.
- Exportez ou enregistrez les mails avec les en-têtes complets si possible (permet d’identifier le cheminement technique du mail).
- Notez les adresses : URL des sites, profils réseaux sociaux, adresses mail des frauduleurs, pseudonymes, numéros de téléphone, IBAN, adresses crypto, etc.
- Conservez les reçus bancaires, preuves de virement, confirmations de paiement, échanges avec le service client.
- Si un contenu vous vise personnellement (photo, vidéo, données intimes), enregistrez-le avant d’en demander la suppression.
Objectif : avoir un dossier que vous pourrez joindre aussi bien à une plainte qu’à un signalement de plateforme, sans perdre d’éléments en route.
Signaler une arnaque en ligne à la police ou à la gendarmerie
Pour les faits relevant d’une infraction pénale (escroquerie, chantage, usurpation d’identité, atteinte à la vie privée, etc.), le réflexe doit être de vous tourner vers les forces de l’ordre.
Plusieurs possibilités s’offrent à vous en France.
1. Le portail THESEE : pour certaines escroqueries en ligne
Le ministère de l’Intérieur a mis en place une procédure entièrement en ligne :
- Site officiel : service-public.fr > « Porter plainte en ligne pour escroquerie sur internet (THESEE) ».
Vous pouvez l’utiliser pour des fraudes telles que :
- Faux sites de vente ou petites annonces.
- Phishing ou faux services clients menant à un paiement.
- Fraudes aux paiements en ligne (usage frauduleux de carte sur internet).
Vous remplissez un formulaire détaillé, joignez vos preuves, et votre plainte est transmise au service compétent. Vous recevez un récépissé, comme pour une plainte classique.
2. Le signalement PHAROS : pour les contenus illicites
PHAROS (Plateforme d’Harmonisation, d’Analyse, de Recoupement et d’Orientation des Signalements) sert à signaler des contenus ou comportements en ligne potentiellement illégaux :
- Discours de haine, terrorisme, apologie de crimes.
- Arnaques, escroqueries, sites frauduleux.
- Images pédopornographiques, violences, etc.
Accès : via internet-signalement.gouv.fr. Vous décrivez les faits, indiquez l’URL, joignez éventuellement des captures. Ce n’est pas une plainte, mais un signalement à des enquêteurs spécialisés qui peuvent déclencher des investigations et saisir les autorités compétentes.
3. La plainte en commissariat ou en gendarmerie
Dans bien des cas, vous aurez tout intérêt à déposer une plainte formelle :
- Présentez-vous dans n’importe quel commissariat de police ou brigade de gendarmerie.
- Expliquez calmement les faits, en suivant un déroulé chronologique.
- Apportez votre dossier : captures d’écran, mails, relevés bancaires, références des signalements déjà effectués (THESEE, PHAROS, plateforme…).
Si on tente de vous décourager (« Pour ce montant, ça ne sert à rien », « Vous ne reverrez pas votre argent »), rappelez que vous avez le droit de porter plainte. La plainte n’est pas conditionnée au montant ni aux chances de retrouver les fonds.
4. La pré-plainte en ligne
Pour gagner du temps, vous pouvez :
- Remplir une pré-plainte en ligne sur pre-plainte-en-ligne.gouv.fr pour les atteintes aux biens (escroqueries, fraudes) lorsque vous connaissez l’auteur ou non.
Vous serez ensuite convoqué pour signer. Là encore, préparez vos pièces jointes.
5. En cas d’urgence
- En cas de menace de violence, séquestration, chantage immédiat : composez le 17 (ou le 112 depuis un mobile).
- En cas de diffusion de contenu intime ou pornographique non consenti : intervention policière rapide et signalement immédiat aux plateformes concernées.
Signaler une fraude aux plateformes : un levier souvent sous-estimé
Les plateformes ne sont pas des tribunaux, mais elles disposent d’un pouvoir très concret : couper l’accès aux escrocs. Encore faut-il les solliciter correctement.
1. Plateformes de réseaux sociaux (Facebook, Instagram, X, TikTok…)
- Utilisez les fonctions internes de signalement de profil, de publication ou de message (souvent via les trois petits points à côté du contenu).
- Choisissez la catégorie la plus proche : « arnaque », « faux compte », « harcèlement », « contenu illégal », etc.
- Ajoutez un commentaire concis et factuel : dates, montants, nature de la fraude.
Si votre identité est usurpée :
- Fournissez une pièce d’identité si la plateforme le demande.
- Signalez également via le formulaire spécifique « usurpation d’identité » (quasiment tous les grands réseaux en ont un).
2. Plateformes de vente et de petites annonces (Leboncoin, Vinted, eBay, Marketplace Facebook, Airbnb…)
- Signalez le profil du vendeur ou de l’acheteur, ainsi que l’annonce en cause.
- Transmettez les captures de la conversation, les justificatifs de paiement et l’issue du litige (non-livraison, produit différent, faux justificatif de paiement, etc.).
- Utilisez les systèmes internes de litige lorsque disponibles, surtout si vous avez payé via la plateforme.
Certaines plateformes collaborent avec les autorités et pourront bloquer les comptes, geler des fonds ou fournir des informations techniques, mais souvent seulement après réquisition judiciaire.
3. Banques, services de paiement et fintech (PayPal, Lydia, banques en ligne…)
- Contactez immédiatement le service fraude ou opposition.
- Signalez le prélèvement ou virement frauduleux et demandez les procédures de contestation (chargeback, remboursement, indemnisation).
- Fournissez la copie du signalement à la police dès que possible : cela renforce votre dossier.
Attention : les délais de contestation sont souvent courts (parfois 13 mois maximum, parfois bien moins selon le type d’opération). Attendre est le meilleur moyen de perdre vos chances de remboursement.
4. Hébergeurs, registrars et services mail
En cas de site frauduleux évident (faux site de banque, fausse marque, faux service public), vous pouvez :
- Identifier l’hébergeur ou le registrar via un whois (par exemple sur whois.domaintools.com ou whois.com).
- Envoyer un mail concis au service abuse@nomdelhebergeur avec vos preuves, en expliquant que le site imite une entité officielle ou escroque des utilisateurs.
Résultat possible : suspension du nom de domaine ou de l’hébergement, parfois en quelques heures, surtout s’il s’agit d’une marque clairement usurpée ou d’un service public.
Trois scénarios concrets et comment réagir
Pour rendre le tout plus concret, voici quelques cas typiques, avec la marche à suivre.
1. Arnaque CPF / formation professionnelle
Vous recevez un appel ou SMS pressant : « Vos droits CPF vont expirer, il faut les utiliser maintenant », avec un lien vers un site pseudo-officiel.
- Ne donnez jamais votre numéro de sécurité sociale ou vos identifiants FranceConnect au téléphone.
- Si vous êtes déjà tombé dans le piège : capturez tout, connectez-vous directement sur moncompteformation.gouv.fr (sans passer par des liens reçus) pour vérifier les formations inscrites et en demander l’annulation si besoin.
- Signalez le numéro de téléphone et/ou le site sur 33700.fr (plateforme officielle de signalement SMS frauduleux) et éventuellement via PHAROS.
- En cas de débit ou de fraude avérée, déposez une plainte (THESEE ou commissariat/gendarmerie) avec tous les éléments.
2. Faux support technique Microsoft / opérateur
Un message s’affiche sur votre écran : « Votre ordinateur est infecté, appelez ce numéro », ou un prétendu agent vous contacte après que vous avez cliqué sur une pub.
- Si vous avez accepté une prise de main à distance : coupez immédiatement la connexion, désinstallez le logiciel et changez vos mots de passe.
- Si vous avez payé : contactez votre banque pour contester la transaction et signaler la fraude.
- Constituez un dossier (captures, factures) et saisissez THESEE si les conditions s’y prêtent, ou portez plainte directement.
- Signalez la page web via le navigateur (Chrome, Firefox, Edge permettent de signaler des sites dangereux).
3. Usurpation de votre identité sur un réseau social
Un faux profil reprend vos photos, votre nom, et contacte vos proches pour demander de l’argent ou diffuser des propos qui ne sont pas de vous.
- Faites des captures du profil, des messages, de la liste d’amis suivis.
- Signalez le compte comme faux profil auprès de la plateforme, et demandez à vos contacts de faire de même.
- Déposez une plainte pour usurpation d’identité (article 226-4-1 du Code pénal) avec toutes les preuves.
- Prévenez vos proches par vos canaux habituels (vrai compte, SMS, etc.), pour limiter les victimes secondaires.
Les erreurs fréquentes à éviter
Au-delà des réflexes de base, quelques pièges classiques compliquent ensuite toute démarche.
- Supprimer trop vite les messages : conservez-les au moins jusqu’à la fin des procédures. Ils sont souvent la seule preuve directe.
- Attendre des semaines « pour voir » : plus vous tardez, plus il est compliqué de bloquer les flux financiers et de remonter les traces techniques.
- Répondre encore et encore à l’arnaqueur : dès que vous avez compris la fraude, cessez tout contact. Ne discutez pas, ne menacez pas, ne « négociez » pas.
- Payer pour « supprimer les données » : dans les cas de chantage ou sextorsion, payer ne garantit rien. Les fichiers peuvent être copiés, revendus, réutilisés. C’est un engrenage.
- Se censurer par honte : les escrocs jouent beaucoup sur ce levier, notamment dans les affaires sexuelles ou sentimentales. Les policiers et gendarmes en voient tous les jours. Parlez, factuellement. Vous n’êtes pas l’accusé.
Que se passe-t-il après votre signalement ?
Un fantasme circule : après une plainte, la police « remonte l’IP » et interpelle l’escroc dans la semaine. La réalité est plus nuancée.
Selon la nature des faits, plusieurs scénarios :
- Votre affaire est rattachée à un dossier plus large déjà en cours (même site, même numéro, même mode opératoire). Vos éléments renforcent l’enquête.
- Elle est traitée isolément, avec parfois des investigations limitées si les escrocs sont à l’étranger ou très bien organisés.
- Dans tous les cas, votre plainte est enregistrée, ce qui a un intérêt administratif, notamment pour vos démarches auprès de la banque, d’assurances, de plateformes ou d’institutions (CAF, impôts, etc.).
Ne vous attendez pas forcément à des nouvelles rapides. Les enquêtes prennent du temps, et les services sont saturés. Mais l’absence de retour immédiat ne signifie pas que vos démarches sont inutiles.
Ressources officielles et outils utiles
Pour agir vite et au bon endroit, gardez sous la main une petite liste de sites fiables :
- Service-public.fr : informations officielles, pré-plainte en ligne, plainte THESEE.
- internet-signalement.gouv.fr : plateforme PHAROS pour signaler les contenus et comportements illicites en ligne.
- 33700.fr : signalement de SMS et appels frauduleux (opérateurs téléphoniques).
- cybermalveillance.gouv.fr : assistance en cas d’acte de cybermalveillance, conseils pratiques et fiches réflexes.
- Les sites officiels de votre banque et de vos plateformes de paiement : pages « fraude », « litige », « opposition ».
Signaler une fraude internet n’est ni un caprice, ni une perte de temps. C’est une démarche de protection – pour vous, mais aussi pour ceux qui pourraient être les prochaines cibles des mêmes escrocs. Vous n’empêcherez jamais totalement les arnaques en ligne, mais vous pouvez contribuer à rendre leur terrain de jeu beaucoup moins confortable.
