Avant d’écrire : identifier précisément l’injustice que vous subissez
Avant de prendre votre clavier pour dénoncer une injustice au travail, il faut commencer par un travail ingrat mais indispensable : mettre des mots clairs sur ce que vous vivez.
On ne rédige pas la même lettre pour :
Demandez-vous :
Votre objectif n’est pas de « vider votre sac », mais de décrire des faits concrets que l’employeur pourra difficilement ignorer ou balayer d’un revers de main.
Un simple : « Je me sens mal, l’ambiance est toxique » ne suffit pas. En revanche : « Depuis le 12 mai, mon supérieur hiérarchique M. X m’exclut systématiquement des réunions d’équipe, comme en attestent les mails de convocation du 12, 19 et 26 mai » est bien plus difficile à contester.
Ce que dit le droit : rappeler le cadre à votre employeur
Votre lettre n’est pas un roman, c’est une mise en garde argumentée. Elle doit s’appuyer sur des textes. Sans tomber dans le copier-coller de Code du travail, il est utile de montrer que vous savez de quoi vous parlez.
Quelques repères (France) :
Vous n’êtes pas obligé de citer les articles dans le détail, mais rappeler, par exemple, que « l’employeur est tenu à une obligation de sécurité envers ses salariés » montre que vous ne parlez pas dans le vide.
Votre lettre ne remplace pas un avocat ni une saisine des prud’hommes, mais elle constitue une pièce écrite qui pourra servir de preuve si le conflit se judiciarise. D’où l’importance de la rédiger proprement.
Pourquoi une lettre écrite change tout
Beaucoup de salariés commettent la même erreur : ils se contentent de remarques orales, informelles, souvent en aparté avec leur manager ou un RH « sympa ». Résultat : juridiquement, il ne reste rien.
Une lettre écrite (de préférence envoyée en recommandé avec accusé de réception) a plusieurs utilités :
Autrement dit, même si votre employeur fait la sourde oreille, vous aurez créé une trace. Et dans un dossier, une trace écrite pèse souvent plus lourd qu’un discours ému six mois plus tard devant un juge.
Les erreurs à éviter dans une lettre de dénonciation à son employeur
Pour être efficace, votre courrier doit être maîtrisé. Voici ce qu’il faut absolument éviter :
Votre force, c’est le calme, la précision, la chronologie, les preuves. Vous ne êtes pas là pour « vous plaindre », mais pour mettre l’employeur face à ses responsabilités légales.
À qui adresser cette lettre dans l’entreprise ?
Tout dépend de la taille et de la structure de votre société. En pratique, vous pouvez :
Évitez de l’envoyer uniquement à votre supérieur direct si c’est justement lui qui est en cause. Adressez-la alors à un niveau hiérarchique supérieur et/ou à la DRH.
Structure recommandée pour votre lettre
Votre lettre doit être lisible, structurée, sans bavardages. Une architecture simple fonctionne très bien :
Voyons maintenant un modèle directement exploitable.
Modèle de lettre pour dénoncer une injustice au travail
Vous pouvez adapter ce modèle à votre situation. Ne recopiez pas tout mot pour mot sans l’adapter à votre cas précis.
Objet : Signalement d’une situation d’injustice au travail et demande d’intervention
Madame / Monsieur,
Salarié(e) de l’entreprise depuis le [date d’entrée], en qualité de [poste occupé] au sein du service [nom du service], je me permets de vous saisir par la présente afin de vous signaler une situation que je considère comme injuste et préjudiciable à mes conditions de travail, et de faire valoir mes droits.
1. Exposé des faits
Depuis le [date de début des faits], je suis confronté(e) à la situation suivante :
– Le [date précise] : [décrire le fait n°1 de manière factuelle : propos, mails, décision, changement de poste, sanction, etc.]
– Le [date précise] : [décrire le fait n°2]
– Le [date précise] : [décrire le fait n°3]
Ces éléments sont étayés par [préciser : courriels, témoignages, documents internes, planning, bulletins de paie…], que je peux mettre à votre disposition si nécessaire.
2. Nature de l’injustice subie
Ces faits ont pour conséquence :
– [Par exemple : une modification unilatérale de mes horaires / une différence de traitement injustifiée par rapport à mes collègues occupant des fonctions similaires / un non-paiement des heures supplémentaires effectuées / des propos répétés portant atteinte à ma dignité…]
Au regard de ces éléments, je considère que ma situation pourrait relever de [par exemple : une discrimination / un harcèlement moral / un manquement à votre obligation de sécurité / une atteinte à mes droits en matière de rémunération].
3. Conséquences sur mes conditions de travail
Cette situation a un impact réel sur mes conditions de travail et mon état de santé :
– [Fatigue, stress, anxiété, dégradation de l’ambiance, isolement, difficultés à accomplir les missions confiées…]
– [Le cas échéant : arrêts de travail, consultations médicales, alertes déjà formulées auprès de mon supérieur, de la RH ou du CSE…]
4. Rappel de vos obligations en tant qu’employeur
Je me permets de rappeler que l’employeur est tenu de respecter les dispositions du Code du travail, notamment en matière de [choisir selon le cas : harcèlement, discrimination, santé et sécurité, rémunération, égalité de traitement…], et de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir et faire cesser les situations susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité des salariés.
5. Demande d’intervention
En conséquence, je vous demande de bien vouloir :
– Examiner ma situation de manière objective ;
– Prendre les mesures appropriées pour faire cesser les faits décrits ;
– Me tenir informé(e), par écrit, des suites que vous entendez donner à ce signalement.
Je reste naturellement disponible pour un entretien afin d’échanger plus en détail sur ces éléments et de rechercher, dans le respect de mes droits, une solution permettant d’assainir mes conditions de travail.
Dans l’attente de votre retour, je vous prie d’agréer, Madame / Monsieur, l’expression de mes salutations distinguées.
[Nom, prénom]
[Poste]
[Service]
[Signature]
Ce modèle est volontairement sobre. Votre objectif est de rester professionnel, même si la situation ne l’est pas.
Adapter la lettre à des situations fréquentes
Selon la nature de l’injustice, le ton et le contenu doivent légèrement être ajustés.
1. Harcèlement moral ou sexuel
Dans ces cas, il est crucial de :
Vous pouvez ajouter dans votre lettre : « Je vous informe de ces faits afin que vous puissiez prendre toutes les mesures nécessaires pour les faire cesser et assurer ma sécurité au travail. »
2. Injustice salariale ou heures supplémentaires non payées
Ici, vos pièces maîtresses sont les documents :
Votre lettre doit mentionner précisément les périodes, le nombre d’heures, et la différence entre ce qui a été effectué et ce qui a été payé.
3. Discrimination
La discrimination est souvent insidieuse. Il faut montrer que la différence de traitement est liée à un critère interdit par la loi (âge, sexe, origine, grossesse, handicap, activités syndicales, etc.).
Vous pouvez par exemple écrire : « À profil, ancienneté et compétences équivalentes, je constate que je suis le/la seul(e) à [ne pas bénéficier de prime / ne pas être promu(e) / subir tel traitement] alors même que [préciser le critère protégé]. »
Faut-il mentionner que vous envisagez d’autres démarches ?
Tout dépend de votre stratégie et du rapport de force. Il est possible de mentionner, de manière mesurée, que vous vous réservez le droit de saisir d’autres instances si rien n’est fait, par exemple :
« Sans réponse de votre part ou sans amélioration de ma situation, je me verrai contraint(e) d’envisager les démarches appropriées auprès des instances compétentes. »
C’est suffisamment clair sans verser dans la menace directe. Vous signalez simplement que vous connaissez vos droits et les voies de recours.
Après l’envoi de la lettre : quoi surveiller, quoi faire
Une fois votre courrier envoyé (de préférence en recommandé avec AR), plusieurs scénarios :
Dans tous les cas :
Quand passer à l’étape supérieure : inspection du travail, prud’hommes, lanceur d’alerte
Si l’employeur ne réagit pas, ou pire, si la situation s’aggrave après votre lettre, il est peut-être temps d’aller plus loin.
Plusieurs options existent :
Dans certaines situations graves, récurrentes, mettant en jeu l’intérêt général (fraudes, corruption, danger grave pour la santé publique, environnement, etc.), vous pouvez entrer dans le champ du lanceur d’alerte. Là encore, l’écrit joue un rôle central : il formalise le signalement interne, souvent préalable obligatoire avant des démarches externes.
Lettre de dénonciation : outil de faiblesse ou de force ?
On entend souvent : « Si j’écris, je vais me griller. » En réalité, ce qui vous expose le plus, ce n’est pas d’écrire, c’est de subir en silence.
Un employeur qui voit arriver une lettre structurée, datée, argumentée, sait qu’il ne traite plus seulement un salarié isolé, mais un dossier potentiellement opposable devant un juge, l’inspection du travail ou un syndicat. Le rapport de force ne disparaît pas, mais il se rééquilibre.
Votre lettre n’est pas une garantie de justice. Mais elle est une première pierre solide si vous décidez de ne plus accepter l’inacceptable.

