Détecter un emploi fictif : savoir où regarder
Un emploi fictif, ce n’est pas un potin de machine à café. C’est une fraude grave et nuisible, souvent dissimulée derrière un écran de respectabilité. En résumé, c’est un poste présenté comme réel, mais sans travail effectif derrière : rémunération versée à une personne qui ne rend aucun service ou dont l’activité est fictive. Le plus souvent dans les institutions publiques, mais aussi dans certaines entreprises privées…
Avant de crier au loup, il convient d’avoir un minimum d’éléments concrets sous la main. Que ce soit un élu local payé pour un poste fantôme, un attaché parlementaire introuvable ou un salarié d’entreprise qui n’a jamais passé la porte des bureaux… l’accusation est lourde et doit reposer sur des faits tangibles.
Alors, comment repérer un emploi fictif ? Quelques signaux doivent alerter :
- Un individu perçoit un salaire sans être physiquement ou administrativement actif dans l’organisation.
- Son nom figure sur l’organigramme, mais personne ne l’a jamais vu.
- Il est « rattaché » à un service mais n’a ni mission, ni livrables, ni trace de travail effectif.
- Il est rémunéré à temps plein, mais réside en dehors du pays ou occupe un autre emploi connu à plein temps…
Un exemple célèbre ? L’affaire Fillon en 2017, où l’ancien Premier ministre a été soupçonné d’avoir rémunéré son épouse pour un emploi parlementaire qu’elle n’aurait pas exercé effectivement. Un scandale médiatisé qui a mis en lumière un phénomène bien plus courant qu’on ne l’imagine.
Rassembler les preuves : une étape cruciale
Avant tout signalement, il faut documenter. Rigoureusement. Un signalement non étayé risque de ne jamais être traité. Ou pire : de vous exposer à des poursuites en diffamation. Il ne s’agit pas d’un jeu, mais d’une action à impact juridique. Rassemblez tout élément factuel.
Voici ce qui peut servir de preuves :
- Absence de traces d’activité professionnelle (courriels, rapports, documents, réunions, etc.).
- Témoignages internes d’employés (fichés ou confidentiels).
- Contrats de travail mis en parallèle avec l’absence de tâches identifiables.
- Situations géographiques incompatibles avec l’exercice du poste.
- Preuves d’un double emploi illégal incompatible avec le contrat.
Vous n’avez pas accès à toutes ces informations ? C’est normal. Dans ce cas, limitez-vous à consigner ce que vous voyez ou savez de manière directe, y compris des faits répétitifs et corroborables.
Choisir le bon canal de signalement
Dire la vérité, oui, mais au bon endroit, et de la bonne manière. Il existe plusieurs manières de signaler un emploi fictif, selon la nature de l’organisation concernée.
Dans le secteur public (mairie, conseil départemental, assemblées…) :
- Vous pouvez alerter l’Agence française anticorruption (AFA) si vous suspectez une fraude liée à l’argent public.
- Le parquet peut également être saisi : une plainte peut être déposée directement au procureur de la République.
- Si vous êtes fonctionnaire ou agent public, vous pouvez faire usage de la procédure de lanceur d’alerte via la hiérarchie ou la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).
Dans le secteur privé :
- Un signalement à la direction, au comité social et économique (CSE) ou au déontologue de l’entreprise est la première étape.
- Si ce niveau ne suffit pas ou si vous craignez des représailles, vous pouvez alerter l’inspection du travail ou signaler via la procédure lancée par la Loi Sapin II, qui protège les lanceurs d’alerte.
- À terme, si aucune action n’est menée, une plainte au pénal reste possible (abus de biens sociaux dans certains cas).
Important : en tant que citoyen, vous pouvez également rédiger un signalement anonyme et l’envoyer à la presse, mais attention aux risques juridiques en cas d’accusation infondée. L’anonymat ne protège pas de tout.
Statut de lanceur d’alerte : un cadre protecteur (si bien utilisé)
Depuis la loi « Waserman » de 2022, le statut du lanceur d’alerte a été renforcé. Vous pouvez signaler un délit ou un crime sans risquer de sanction professionnelle, à condition de respecter un protocole précis :
- Le signalement doit porter sur une infraction grave (comme un emploi fictif frauduleux, détournement de fonds, etc.).
- Le signalement est d’abord interne, puis peut être externe si aucune suite n’est donnée.
- Les faits doivent être connus directement, de manière personnelle.
La plateforme SignalConso n’est pas adaptée aux signalements professionnels, mais le Défenseur des droits peut vous accompagner pour encadrer votre démarche, en particulier si votre entreprise ou votre administration balaye le problème sous le tapis.
Précautions à prendre (et erreurs à éviter)
Vous êtes tenté de tout balancer sur les réseaux sociaux ? Mauvaise idée. Une accusation publique sans preuve peut vous coûter cher. Calomnie, diffamation… et parfois harcèlement judiciaire en retour.
Voici quelques bonnes pratiques :
- Ne pas évoquer des faits que vous ne pouvez pas vérifier personnellement.
- Ne pas divulguer le signalement au sein de l’entreprise, surtout à des personnes non concernées.
- Éviter les propos accusateurs dans un courriel personnel ou non sécurisé.
- Préserver la confidentialité des personnes citées jusqu’à vérification des faits.
- Éviter les canaux informels (WhatsApp, Facebook…) pour transmettre des dossiers sensibles.
Utilisez des plateformes sécurisées quand cela est possible, chiffrez vos documents sensibles, et conservez une trace écrite (emails envoyés, lettre AR, etc.). Bref, agissez comme si vous étiez amené à témoigner devant un juge demain. Parce que cela peut arriver.
Et après ? Les suites possibles
Une fois le signalement effectué, plusieurs issues sont possibles :
- Ouverture d’une enquête administrative : interne à l’entreprise ou à l’institution (par exemple, une inspection de la Cour des comptes).
- Saisie judiciaire : via le procureur ou une plainte classique, une enquête pénale peut être initiée.
- Mise sous silence du dossier : c’est hélas une réalité. Certains signalements disparaissent dans les limbes si la hiérarchie ne joue pas le jeu.
Dans tous les cas, il est essentiel de documenter ce que vous avez fait et quand. Si vous êtes salarié, demandez conseil à un juriste, syndicat ou avocat. Il est aussi possible d’alerter une ONG spécialisée dans la lutte contre la corruption et les abus institutionnels.
Pourquoi cela compte
Signaler un emploi fictif, ce n’est pas semer la zizanie au travail. C’est exiger que l’intérêt collectif prime sur les arrangements douteux. C’est défendre la justice, la probité, et parfois même la sauvegarde des fonds publics. Oui, cela demande du courage. Oui, cela vous expose. Mais toute société démocratique a besoin de citoyens lucides et engagés.
Comme le disait Hannah Arendt : « La responsabilité commence là où cesse l’alibi. »
Alors si vous constatez un emploi fictif, et que les faits sont solides, n’attendez pas que quelqu’un d’autre agisse. Faites-le proprement, prudemment, mais fermement.
