Comprendre ce qu’est un emploi fictif
Un emploi fictif, c’est lorsqu’un individu perçoit une rémunération pour un poste qu’il n’occupe pas réellement ou pour un travail qui n’existe pas. Autrement dit : salaires versés, mais pas de tâches concrètement réalisées. Cela peut concerner un poste totalement inexistant, ou un emploi occupé sans activité en retour, souvent dans le but de détourner des fonds publics ou privés.
Dans le cas des collectivités locales, de certaines entreprises publiques ou de structures associatives subventionnées, ce phénomène n’est pas rare — et il est loin d’être anodin. L’affaire Fillon en France, les dérives dans certaines mairies ou l’opacité dans des réseaux d’associations bidon illustrent la gravité du problème.
Détecter un emploi fictif n’est pas toujours évident. Pourtant, certains signes ne trompent pas : un salarié officiellement en poste mais jamais vu, des bulletins de salaire sans présence au bureau, ou encore des contrats opaques liés à des proches d’élus ou de cadres exécutifs.
Pourquoi signaler un emploi fictif ?
Au-delà de la simple fraude, l’emploi fictif représente un abus de confiance — souvent financé par nos impôts. Il pénalise la collectivité, fausse les règles du jeu économique et nourrit une culture de l’impunité. Laisser faire, c’est cautionner.
En signalant ces abus, vous participez à rétablir un semblant d’équité et à assainir les pratiques douteuses. Que vous soyez collègue, agent RH, élu, ou simple citoyen observateur, vous avez un rôle à jouer. Une démocratie saine ne peut pas tolérer la complaisance à l’égard de la fraude salariale institutionnalisée.
Les démarches pour dénoncer un emploi fictif
Avant de foncer tête baissée, il est important d’être méthodique. Voici les étapes essentielles si vous décidez d’agir :
Réunir des preuves tangibles
Vous soupçonnez un emploi fictif ? Il ne suffit pas de le penser, il faut pouvoir le démontrer. La charge de la preuve est essentielle.
- Copies de bulletins de salaire mentionnant des noms jamais vus dans les services concernés
- Absence d’adresse e-mail professionnelle, badge ou activité identifiable du salarié concerné
- Témoignages concordants (et si possible écrits) d’autres collègues sur l’absence prolongée du soi-disant salarié
- Documents internes montrant un organigramme dysfonctionnel ou des anomalies dans la gestion du personnel
Attention : toute collecte de documents doit respecter le cadre légal. Ne piratez pas de fichiers, ne forcez pas l’accès à des données privées. Restez dans une posture citoyenne, pas répressive. En cas de doute, consultez un avocat ou une association spécialisée.
Choisir le bon canal de signalement
Plusieurs options s’offrent à vous, selon votre niveau d’implication et votre besoin de confidentialité :
- Signalement en interne : Si vous travaillez dans l’organisation concernée, commencez (si possible) par alerter la hiérarchie, les ressources humaines ou le service éthique s’il existe.
- Inspection du travail : Pour les entreprises privées, l’Inspection du travail peut jouer un rôle central. Vous pouvez faire un signalement anonyme ou nominatif.
- Procureur de la République : Pour les cas graves ou lorsqu’il s’agit d’une entité publique, déposer une plainte auprès du Parquet est souvent nécessaire. Il examinera s’il y a matière à engager des poursuites pénales.
- Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) : En ce qui concerne les élus ou les responsables publics, cette autorité peut être saisie.
- Plateformes de lanceurs d’alerte : Comme Signal Conso, Anticor ou encore les dispositifs internes mis en place par les grandes structures.
Protéger votre identité
Un signalement peut avoir des conséquences — sur votre carrière, votre sécurité, voire vos relations personnelles. Heureusement, le droit français protège (du moins en théorie) les lanceurs d’alerte. Depuis la loi Sapin II et plus encore avec la loi Waserman de 2022, plusieurs garanties existent :
- Interdiction de toute mesure de représailles (sanction, licenciement, rétrogradation…)
- Possibilité de signaler anonymement ou de manière confidentielle
- Accompagnement par la Maison des Lanceurs d’Alerte ou Transparency International
Mais soyons pragmatiques : le droit ne protège pas toujours efficacement quand les circuits du pouvoir sont en jeu. Soyez stratégique. Évitez les discussions à chaud, privilégiez l’écrit, et gardez une copie de tout ce que vous émettez ou recevez concernant votre signalement.
Risques juridiques : ce que vous devez savoir
Vous avez peur de vous lancer ? C’est légitime. Voici les principaux risques à envisager — mais aussi les garde-fous légaux dont vous disposez.
Risques pour l’auteur de l’alerte
Un lanceur d’alerte mal préparé peut se retrouver en ligne de mire, surtout si l’affaire touche des personnalités influentes. Les principaux risques :
- Représailles professionnelles : Marginalisation, placardisation, ou pire encore. D’où l’intérêt de signaler via des canaux protégés.
- Diffamation : Si vos propos sont publics ou mal étayés, la personne dénoncée pourrait vous poursuivre. La vérité est une défense recevable en matière de diffamation, mais elle doit être prouvée clairement.
- Violation du secret professionnel : Si vous êtes fonctionnaire ou employé dans certaines entités sensibles, attention à ne pas divulguer des données couvertes par un secret professionnel.
La bonne nouvelle ? Les lois récentes encadrent et protègent plus efficacement les alertes faites de bonne foi dans un cadre défini (loi Sapin II, loi Waserman).
Risques pour l’auteur de l’emploi fictif
Ici, les choses s’alourdissent. En cas de preuves suffisantes, les sanctions peuvent être sévères :
- Abus de biens sociaux : Dans une entreprise, cela peut aller jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 375 000 € d’amende.
- Détournement de fonds publics : Une infraction grave, qui concerne les élus ou agents publics, punie de 10 ans d’emprisonnement et 1 000 000 € d’amende. Et parfois plus avec récidive ou usage frauduleux organisé.
- Complicité ou recel : Celui ou celle qui profite de l’emploi fictif mais aussi ceux qui l’organisent risquent également des poursuites.
Les condamnations judiciaires peuvent s’accompagner d’inéligibilité, d’interdictions de gestion ou de peines complémentaires (remboursement de salaires indus, dommages et intérêts…).
Exemples d’affaires emblématiques pour mieux comprendre
Pour illustrer le propos, impossible de ne pas mentionner l’affaire Fillon. En 2017, l’ancien Premier ministre est accusé d’avoir rémunéré son épouse et ses enfants pour des emplois parlementaires qu’ils n’auraient pas effectués — déclenchant un séisme politique. Lui et son épouse seront condamnés, même si le processus judiciaire suit son cours d’appel.
Dans un tout autre registre, en 2020, un maire d’une petite commune du Sud s’est retrouvé mis en examen pour avoir embauché un ami comme jardinier… ami qui vivait en Espagne et n’avait jamais posé un pied dans la commune. L’enquête a révélé des années de bulletins de salaire pour un poste inexistant. Bilan : fraude, remboursement, image écornée, et procès à la clé.
Ces affaires montrent que l’emploi fictif n’est pas un simple « dysfonctionnement administratif ». C’est une fraude. Et comme toute fraude, elle a des victimes : les contribuables, les candidats dépourvus de piston, et les travailleurs honnêtes.
Agir avec discernement
Signaler un emploi fictif ne se fait ni à la légère, ni dans la colère. Cela demande du recul, des faits objectifs, et parfois un accompagnement juridique. Mais il ne faut pas non plus se taire. Car c’est précisément le silence qui permet à ces pratiques de prospérer.
Avant de passer à l’action, posez-vous les bonnes questions : Suis-je prêt à affronter les éventuels obstacles ? Ai-je réuni assez d’éléments concrets ? Quel est le canal de signalement le plus sûr ?
Et surtout : quelle est ma motivation réelle — la justice ou la vengeance ? Le premier vous protège. Le second vous expose.
Ressources utiles pour aller plus loin
- Transparency International France – Soutien et accompagnement pour les lanceurs d’alerte
- Maison des Lanceurs d’Alerte – Informations juridiques, orientation et protection
- Service-public.fr – Fiche pratique sur le signalement d’une fraude
- Haute Autorité pour la transparence de la vie publique – Pour les cas concernant des élus ou des responsables publics
Rétablir la probité dans notre société passe aussi par vous. À défaut d’agir bruyamment, agissez intelligemment. Et souvenez-vous : un lanceur d’alerte n’est pas un délateur — c’est un citoyen qui refuse la complaisance devant l’injustice administrative.

